Charlotte a le souffle court, sa chemise est tachée de sang, ses doigts, tenant fermement le manche de l'épée qui lui a servi à tuer Emilia, sont de plus en plus engourdis à cause du froid régnant désormais sur la capitale...
Son père, lui, ne semble pas faiblir du tout. Ils sont sur la plateforme du dernier étage de la Tour Eiffel. Et au dessus d'eux, dans le ciel d'une noirceur infinie qui recouvre la ville, la seule lumière provient de l'immense vortex...
Et malgré tout le courage et la détermination de Charlotte, elle ne peut rien faire si ce n'est affronter son père dans une ultime confrontation et voir, impuissante, ces formes étranges et longilignes sortir du vortex, telles les antennes ou les appendices d'une quelconque abomination dépassant, et de loin, tout ce que le cerveau de la jeune femme peut imaginer.
-"Tu as perdu..." déclare Etienne.
D'un geste de la main, il désigne la ville.
-"Mais ne soit pas vexée, c'est le cas de toute la race Humaine."
Pour seule réponse, elle attaque son père avec la lame de son arme mais ce dernier n'a aucun mal à parer les coups de son épée. Les appendices sortent du vortex, lentement, bougeant de manière défiant la gravité...
La jeune femme tombe à genoux, épuisée. Elle lève la tête et son seul mot, c'est "pourquoi?"...
Ce qui étonne Etienne.
-"Tu me demandes pourquoi j'ai fais tout cela? Car c'était mon destin! Je devais faire périr ce monde pour avoir des réponses, découvrir ce qu'il y a audelà de la vie...
Découvrir ce que nul autre que les dieux savent! Les mystères sont fascinants mais les résoudre, c'est là le but, comprendre ce que nul n'a compris avant..."
Charlotte secoue la tête.
-"Je ne parle pas de cette folie, non, je parle d'Anaïs... D'Auguste... Pourquoi me les avoir pris avant la fin? Pour que je sois seule face à la mort? Est-ce là votre but?"
Etienne secoue la tête:
-"Non, ma chérie, c'était pour te préparer, te faire comprendre une chose simple: Nul dans ce monde ne s'en sortira. Et j'aimerais que tu sois la dernière, celle qui verra, avant d'être consumée, la raison de tout cela, que tu comprennes ce que les de Langeat ont fait et pourquoi ils l'ont fait...
Que tu contemples notre "dieu" tel que nul autre que nous ne le verrons...
Et que tu meurs en voyant cela..."
Elle secoue la tête: Cet homme qu'elle a adulé, le seul homme qui a trouvé grace à ses yeux, avant qu'elle ne rencontre Auguste, est un monstre, un être abject et complétement fou...
Elle lâche son épée, défaite face à ce discours: Charlotte comprend que tout est terminée.
Etienne hoche la tête:
-"Mon enfant, tu as enfin accepté ton destin."
Oui, elle a accepté que quoi qu'elle fasse, c'est terminé: Les deux personnes pour qui elle avait des "sentiments" extremement forts sont morts...
Que Louis, son cher cousin, doit l'être probablement à l'heure qu'il est...
Que Camille, sa mère, doit aussi l'être...
Et que dire de son père, celui qu'elle aimé plus que tout, "l'homme de sa vie" comme elle se plaisait à le décrire: Lui, n'a même jamais existé ailleurs que dans son imagination!
Charlotte comprend que tout est fini: Ce monde, sa vie, ses illusions...
Elle lève les yeux pour contempler l'entrée d'Itnw Aw Sswn dans notre monde, défaite et battue...
Elle ne peut retenir ses larmes en comprenant son échec.
-"Auguste... Anaïs... J'espère que vous me pardonnerez d'avoir échoué..."
Etienne vient vers elle et pose sa main sur son épaule.
-"Tu as accepté ta défaite. Assiste à l'avènement de notre dieu..."
La jeune femme regarde le ciel mais après quelques minutes, elle préfère fermer les yeux, alors que son père s'élève, semble flotter dans les airs, son corps devenant le vaisseau d'Itnw Aw Sswn dans notre monde...
-"Il n'y a qu'à le tuer!" s'exclame Auguste.
Louis a beau lui assurer que c'est impossible, le privé n'en est pas convaincu...
-"Charlotte lui a tirer dessus et ça ne lui a rien fait!"
La jeune femme, assise sur l'un des confortables fauteuils du sous-sol de son cousin reste silencieuse.
-"Louis... Vous avez dit qu'il est un "vaisseau"... Que cela signifie-t-il vraiment?" demande Anaïs, qui a frôlé la mort il y a quelques heures encore, sauvée in-extremis par Charlotte et Auguste.
Louis essaye d'expliquer le concept de "vaisseau": Un forme de réceptacle vivant, quelque chose qui va permettre à cette "chose" qu'est Itnw Aw Sswn de venir sur notre plan d'existence...
-"Mais si rien ne peux l'atteindre, comment cette divinité pourrait s'en servir?" demande Auguste.
Charlotte a un éclair de génie:
-"Je pense que lorsque tout commencera réellement, mon père n'aura plus la moindre défense..."
Anaïs hoche la tête:
-"Là, tu pourras agir!"
Et Auguste conclut:
-"Et mettre un terme à cette folie!"
Charlotte ouvre le yeux voyant le ciel d'encre et le vortex, son père semblant flotter sous le vortex, les appendices l'attrapant, l'entourant...
Elle attrape l'épée qu'elle a laissée choir tout à l'heure: Elle attrape le manche et vise son père: Le transfert a dû commencer et il est probablement vulnérable...
Elle hésite pourtant au dernier moment: C'est son père...
Mais en pensant à Anaïs et à Auguste, à sa mère, à Louis et au monde, elle lance l'épée en direction de son père! La lame file dans sa direction et la pointe pénètre profondement dans le torse d'Etienne...
Un son strident se fait entendre, emplit le ciel, des éclairs illuminent les ténèbres, le vortex semble instable, Etienne hurle de douleur, son corps semble consumé de l'intérieur, la plateforme de la tour semble elle aussi se consumer comme si la réalité elle-même était en train d'être détruite! Charlotte, bien qu'épuisée, se met à courir, à dévaler les marches pour tenter de rejoindre les ascenseurs, tenter de quitter ce lieu...
Sa course est effrénée, tout ce qui se trouve derrière elle est consumé, détruit, il ne reste rien, même les marches qu'elle descend commencent à être détruites lorsqu'enfin, elle s'engouffre dans l'ascenseur, faisant désormais face à la réalité qui se consume...
Mais les portes de l'ascenseur se ferment et il se met à descendre alors que tout le haut de la tour semble à présent être rayé de l'existence...
L'ascenseur atteint l'étage en dessous, Charlotte sort précipitement, lorsque la cabine lâche et tombe en direction du sol, tout le mécanisme situé en haut ayant été détruit. La jeune femme reprend sa course effrénée et file vers l'ascenseur qui doit la ramener au rez-de-chaussée de la tour. Derrière elle, la réalité se distord, se consume, se détruit, les sons étranges, probablement émis par Itnw Aw Sswn, lui vrillent les tympans. L'ascenseur bouge, semble sur le point de lâcher mais il tient...
Et lorsque les portes s'ouvrent, la jeune femme file dehors, ne se retournant pas...
Finalement, un peu plus loin, elle stoppe sa course effrénée et découvre la Tour Eiffel amputée des trois-quarts de sa structure...
Les sons semblent de plus en plus lointains alors que le vortex dans le ciel n'est presque plus visible. Charlotte tombe à genoux au sol, épuisée et vaincue...
Ayant marché jusqu'à l'hotel particulier de sa famille, de l'autre côté de la Seine, Charlotte arrive enfin chez elle. Là, Camille, sa mère, se précipite vers elle alors qu'elle entre.
-"J'ai cru ne plus te revoir!"
La jeune femme tente de rassurer sa mère mais assure qu'elle doit se reposer.
-"Je vous expliquerai tout... Plus tard!"
Arrivée dans sa chambre, elle attrape un cahier, vierge, et commence à écrire:
"Par où commencer? Honnêtement, je n'en sais rien. J'ai les mains sales, mes vêtements sont couverts de boue et de sang et alors que le soleil est en train de se lever sur Paris, mettant ainsi un point final à cette horrible nuit, la pire de mon existence, je ne peux pourtant me résoudre à prendre un peu de repos car je dois écrire, raconter l'atroce vérité, raconter la raison pour laquelle les événements de ces trois dernières années se sont enchainés ont permis à cette nuit maudite de se produire..."
L'automne est presque là. Les événements de mai continuent de hanter Charlotte mais elle a décidé de "vivre" et d'essayer de continuer à avancer. Car de toute manière, il n'y a rien d'autre à faire.
Louis, par on se sait quel miracle, s'en est sortie même si le côté droit de son visage est irrémédiablement défiguré. Mais Elise ne semble pas gênée par cela. Tous deux se sont même fiancés il y a quelques semaines. Charlotte est heureuse pour lui. Quant à elle, après tous ces événements cataclysmiques, elle a perdu Auguste et Anaïs, se retrouvant seule... Enfin pas vraiment!
-"Charlotte! Dans ton état, il n'est guère judicieux de te rendre à ce "bureau"!" s'exclame Camille.
Mais Charlotte lui assure que tout va bien.
Dans le fiacre qui la conduit, elle repense à cette rencontre avec le notaire lorsque ce dernier lui a appris qu'Auguste, n'ayant pas de famille, lui avait légué l'Agence Ferrand et tout ce qu'elle contenait. C'était les seules possessions de l'ex-policier, ce modeste logis et bureau. Charlotte avait été vaincue par l'émotion en apprenant cela. Dans les derniers moments, peu après l'éclipse, Auguste avait rédigé ce testament, conscient que certainement, il ne s'en sortirait pas. La jeune femme passe sa main sur son ventre arrondi, se disant que ce ne fut pas le seul cadeau qu'Auguste lui a fait...
Descendue du fiacre, elle passe devant la plaque où il est inscrit "Agence Ferrand - Enqueteur privé" avant de pénètrer dans le batiment, de monter les quelques marches et rejoindre le bureau, "son" bureau désormais. Elle a repris l'activité de détective d'Auguste, continuant les quelques affaires qu'il avait en cours et en acceptant de nouvelles, même si sa grossesse va l'empecher d'ici peu de se consacrer à tout cela. Mais ce ne sera que temporaire. En oeuvrant là, continuant le travail d'Auguste, elle a l'impression d'honorer sa mémoire, de rester proche de lui d'une certaine façon. Et la future naissance de son enfant, "leur" enfant, ne fera que continuer ce lien désormais indéfectible...
Et son besoin de résoudre des enquètes, des "mystères", est toujours bien présent en elle, malgré ces événements...
Quelqu'un frappe à la porte, Charlotte lui dit qu'il peut entrer. C'est un homme petit, chauve et visiblement essouflé par les quelques marches ouvre la porte doucement.
-"Est-ce bien ici, l'Agence Ferrand?"
La jeune femme lui fait un sourire et l'invite à entrer.
Son visiteur est étonné.
-"C'est vous le "Ferrand" de la plaque? Un ami m'a assuré que c'était un excellent détective et m'a conseillé de venir vous voir... Mais..."
Il pose son regard sur le ventre arrondi de Charlotte et ajoute:
-"Il y a peut-être erreur, non?"
Souriante et charmante, elle assure que non, il n'y a pas d'erreur:
-"C'est Auguste Ferrand qui m'a formée et j'ai repris l'agence lorsque ce dernier..."
Elle marque un temps d'arrêt.
-"Il nous a malheureusement quitter, il y a quelques mois de cela."
Le client potentiel en est visiblement affecté.
-"Vous m'en voyez navré, madame..."
Elle se présente puis fait signe à son interlocuteur de s'asseoir.
-"Que puis-je faire pour vous?"
Le client semble légérement gêné mais décide de parler finalement:
-"Vous voyez, j'ai une petite affaire dans le textile. Mais depuis peu, je soupçone ma femme d'avoir un coquin. De l'argent a disparu chez moi et je soupçonne ce "monsieur" de ces larcins..."
Charlotte écoute longuement son client, prend des notes et assure qu'elle va résoudre cette affaire au plus vite. L'homme semble presque convaincu par la jeune détective. Après avoir dsicuté de l'affaire qui l'amène, il décide de prendre congés. En se levant et en attrapant son manteau et son chapeau, il se retourne vers Charlotte:
-"Vous m'avez dis avoir repris l'activité de ce monsieur Ferrand...
Pourquoi ne pas avoir changé la plaque située devant la porte de l'immeuble?" demande-t-il.
La réponse de Charlotte est simple:
-"Je n'ai pas envie de changer cette plaque, elle est très bien comme elle est!" conclu-t-elle en souriant...