par Ciné Merveilles » Mer Mars 18, 2009 1:54
*** 2013 : l'année de tous les dangers pour Gerardmerveille ? ***
Une chronique de Raymond F. Bourdieu*
Départ de Pingu, retraite de Logan Lester, disparition (et reprise) de Rammstein, silences de LOL prod et Puggy, semi-retraite de Big Bang, box-office et chiffres de productions inhabituellement bas... Les mauvaises nouvelles s'accumulent au-dessus de la ville en ce milieu d'année 2013 comme autant d'oiseaux de mauvais augure. L'été, heureusement, offre plus joyeuse moisson avec un retour inattendu de Gérard Cousin et de Morcar au premier plan. Pour combien de temps ?
Ce n'est pas la panique mais une inquiétude sourde pèse sur les gérants des cinéma de la ville. Beaucoup de nouvelles, en très peu de temps, sont venus ébranler leur belle confiance : les absences du planning commercial d'Huxley, Puggy, LOL Prods, Warner Interaction pour l'été 2013 jettent un froid. Du côté de l'artiste, la retraite est bien sûr un droit inaliénable auquel il peut prétendre dès qu'il se sent prêt. Pourtant, chez certains représentants de la profession, les départs de Pingu et de Logan Lester ont été durement ressentis - pas tant pour leur poids économique que pour le symbôle qu'ils représentaient. Le retrait de Rammstein, producteur présent depuis les débuts de la ville dans l'industrie du cinéma, a été comme un choc pour d'autres - choc à peine amorti par une reprise de ses actifs par Summerzik, autre producteur "historique" de Gérardmerveille. Si l'opération ressemble autant à un coup de bluff qu'à un coup de pub, elle jette le doute. Dernier baroud d'honneur ?
Parmi les espoirs du marché, beaucoup pariaient sur le succès durable de Roma Rimini, Puggy, Big Bang prods. Leurs défections très rapprochées dans le temps ont eu un effet cumulatif particulièrement anxiogène chez les représentants de la profession. Propriétaire du cinéma "La Dolce Vita" faisant partie du réseau "Art & Essai" de la ville, Gregory Ligory commente : "Que les artistes fassent rideau, ça peut se comprendre - mais les producteurs ? Fin 2012, ils se précipitaient tous dans les cocktails mondains promettant monts et merveilles, et la ville semblait avoir retrouvé une dynamique de fond - mais cet été, ça a vraiment viré à l'aigre." Mourad Sharif, ancien gérant du Divin'Ecrans (l'ex-multiplex financé par la compagnie Divine Mouvize - par ailleurs en semi-sommeil) ajoute : "Autrefois, les plannings de sorties à 3 mois annonçaient entre 40 et 50 nouvelles productions dans les starting-blocks, parmi lesquelles des blockbusters, des superproductions et d'autres films moins riches mais ambitieux. Alors non seulement on est récemment tombé à moins de 25 en juillet, mais en plus, le gérant moyen hérite de navets et de nanars. Heureusement que Morcar et Gérard Cousin ne sont pas restés inactifs, on est remonté à un peu plus de 30 annonces sur le trimestre. Mais deux-trois producteurs ne sauveront pas notre activité, il est notable que la dynamique du début d'année s'est complètement essouflée."
Concurrence des nouveaux médias (internet, VOD) et piratage intensif (Gerardmerveille se vantant de disposer "des plus gros débits", dixit son maire William Molchany) sont allés de pair avec une désaffection rarement vue pour les genres habituellement favoris du public : comédie, comédie sentimentale, action et drame ne sont pas loin d'être les genres les moins appréciés. Une première (jamais ces quatre genres n'avaient connu pareille fronde ensemble) dans l'histoire de la ville et une situation difficilement tenable pour les majors de la profession qui basent leur production sur des recettes éprouvées. Où sont les documentaires ? Nulle part. Il s'agit pourtant du genre favori du public depuis au moins deux mois. L'absence de réactivité de la profession pourrait nuire sur ses résultats annuels - et à terme menacer l'emploi.
L'autre souci, c'est qu'il est bientôt arrivé le temps où les artistes vétérans des premières années de la ville (2005-2006) seront bientôt tous retirés du marché - et avec eux une page se tourne. Page également marquée par la disparition de la quasi-totalité des producteurs de cette époque - que certains nomment "l'âge d'or" de GM et d'autres "l'âge de fer". Si chaque période a ses fidèles et sa nostalgie, il s'agit surtout de s'interroger : où sont les Jetto, les MaxFu, les Abastanza de 2013 ? La relève est-elle prête ? On pourra toujours gloser sur un "énième retour" de MMP, la survivance de Walken ou les soubresauts judiciaires d'un Warner Interaction, les anciens héros du box-office sont fatigués. Le vrai-faux départ de Rammstein, la mise sous clé de Roma Rimini, les étranges rumeurs se colpoltant autour de Puggy, l'absence de LOL productions : toute l'actualité récente de cet été jette un nouvel éclairage cru sur l'absence de vision à long terme des décideurs de l'industrie et sur les petites magouilles, finalement bien terre-à-terre, de notre "Hollywood à nous".
Un nouveau signe inquiétant était perçu dans la semaine du 15 au 21 juin dernier, où le box-office atteignait avec 38M$ de recettes son plus bas niveau depuis des années. S'il est revenu aux alentours de 45-55M$, ce hoquet offrait une sévère correction boursière aux compagnies côtées (-6% en moyenne), et personne ne pouvait certifier que cela ne se reproduirait pas cette année. Ambiance - et toujours cette vision de l'avenir à court terme.
Pour résoudre l'équation à une inconnue (ramener le public dans les salles), qui trouve-t'on ?
A notre droite, des major-compagnies qui ont bien vécu et qui déversent bon an mal an une violence relativement formatée, du sexe facile et un humour auquel la critique a fini par s'habituer, des séries Z d'un autre age et des énièmes adaptations de produits (sous)-culturels. La recette a eu l'air de fonctionner un temps mais semble s'essoufler : perte d'inspiration, encéphalogramme plat de la réflexion, écriture cinématographique proche de zéro. Vous connaissez les noms, il vous suffit de parcourir nos pages "people" pour les trouver.
A notre gauche, des crypto-marxistes qui ne trouveront pas plus grâce à nos yeux dans cette équation. Leur cinéma est ambitieux, témoin d'un bel effort dans la forme tant que tant le fond, mais pour quel résultat ? Une production infime, un nombre de sorties anémique et plus d'articles dans la presse à sensation que dans la presse économique : assassinats politiques et purge quasi-stalinienne. Le public est intelligent et prêt à cueillir les fruits d'un cinéma ambitieux et de qualité mais ses artistes demeurent cloisonnés dans leurs querelles stériles. On a donc l'impression d'un grand gâchis derrière le discours de la qualité sur la quantité - c'est que la qualité doit vivre avec la quantité pour maintenir une industrie pérenne.
Que reste-t'il ? Des espoirs déçus, tels Puggy prod ou Big Bang qui un temps ont cru donner le change et qui demeurent mystérieusement silencieux (pour le premier) ou démotivé (pour le second). "Coup de barre" passager ? Non : le marché n'est pas aussi concurrentiel qu'on le dit, le succès de feu(?)-Luxure en était la preuve. Le démarrage en force de Firewolf ou Floaueau a su piquer un temps la curiosité des observateurs en début d'année : ils se disaient qu'ils tenaient les bonnes surprises de 2013. Hélas, à moins d'un retour en force dans le prochain semestre, il est à craindre que leur succès ne fut qu'un immense feu de Bengale.
Et au milieu du marécage surnagent les indépendants : Quentin Films, Snaky, AtPenumbra, Sergiot, Kaoru, DAP, allociné, Gay'Pride... Une poignée de studios sérieux auxquels Choko-Beignet Inc. et Cronos viennent récemment de s'ajouter : les "indés" comme toujours feu vivant d'une ville. Des producteurs - dont certains pas totalement rôdés - au catalogue inégal mais digne, original et honnête, qui savent concilier une certaine qualité avec une volonté de faire travailler leur fonds de commerce. C'est chez eux que palpite encore la flamme du cinéma gérardmerveilleux. Il est à espérer que les banques maintiennent leur soutien auprès de ce type de structures sans quoi il ne nous resterait plus que des majors autofinancées sur de gigantesques piles de cash et des "indés" crève-la-faim. Un véritable cauchemar culturel qui n'est peut-être pas si éloigné de nous, il suffit de repenser au désarroi actuel de Fundanse pour s'en convaincre.
Raymond F. Bourdieu
* Raymond F. Bourdieu est historien du cinéma à l'Université Libre de Gérardmerveille.